30.6.-8.9.2024, sa-di 14h-17h
Dessins, peintures et livre d'artiste
Vernissage: 30.6.2024, 14h-18h
Exposition en deux volets
POUSSIÈRE DE MOTS | MAUX
Poèmes spontanés, transformés en vibrations graphiques illisibles. Ces paroles, que je nomme poussière de mots, surgissent au détour de moments sombres, lumineux, douloureux ou joyeux de ma vie. Elles apparaissent et disparaissent subitement au long du jour, de la nuit ou lors d’un événement inattendu du quotidien. Depuis fort longtemps certains mots simples, authentiques, m’accompagnent, c’est pourquoi ils sont devenus le corps de ce livre : interstice entre les mots, cadence d’une page à l’autre, pas sur un chemin déroutant et accidenté.
Avant de signifier quelque chose les mots sont des ondes vibratoires à l’intérieur du corps, une mouvance rythmée qui palpite dans l’obscurité, des sensations multiples se frayant un passage jusqu’à la bouche, un bruit plus ou moins différencié et de température variable: parfois inaudible, parfois fracassant, parfois emmuré, parfois murmuré. Le mot est si complexe qu’il tient du miracle dans sa composition de lettres. Le cerveau le propulse telle une éruption volcanique ou le réduit en cendre selon son profit. Il détruit ou sauve. Nous sommes si fragiles que survivre sans mots est impossible, c’est pourquoi nous avons inventé le langage, de multiples langues. Leur sonorité et leur tonalité sont si variées que personne ne comprend son voisin.
Creuser la matière que constitue un mot est une exploration aussi passionnante que terrifiante, démunis que nous sommes lorsque nous devons le traduire dans une langue étrangère. Automatiquement le cerveau interprète. L’éduquer à écouter, à entendre chaque modulation induite par la position de la langue, le souffle qui la traverse, est une intense pratique. Ressentir l’énergie du mot avant qu’il ne sorte de la bouche est subtil. C’est un balbutiement du cosmos dont nous essayons de comprendre le message, sachant que le moindre bruissement d’ailes influence sa vérité fluctuante.
L’inconnu, chemin de l’émerveillement.
Comprendre la capacité de la vie à s’acclimater à une planète bombardée depuis des millions d’années par des comètes et ouvragée par des explosions volcaniques, est un projet utopique. La terre a son credo : explorer, s’adapter et diversifier ses habitats.
Elle est curieuse et créative. Elle met en mouvement espace et temps. Elle est façonnée par le soleil, l’eau, et le vent.
PIERRE | PRIÈRE
Salina me souffle le désir d’entreprendre un travail sur ses pierres.
Dessiner, peindre les pierres trouvées sur la plage du phare de Lingua, me permet d’exprimer la poésie de ce lieu qui observe mes allées et venues depuis si longtemps. Leur présence magmatique m’incite à les appréhender une à une. Le graphite utilisé pour les peindre évoque mon exploration de cette matière minérale et le reflet qu’elles impriment sur mon regard épris de leur forme, leur volume, leur couleur et leur consistance.
La prise de conscience de leur origine millénaire déclenche une émotion inattendue et entraîne mon imaginaire au centre de la terre. La contemplation amoureuse de leur existence me pousse à leur donner un instant une autre vie sur ma feuille de papier.
Comme disait Roger Caillois : « Je parle des pierres plus âgées que la vie […]. Je parle des pierres […] qui n’ont rien à faire que laisser glisser sur leur surface le sable, l’averse ou le ressac, la tempête, le temps. »
Chaque jour une nouvelle pierre éveille mon désir de la peindre !
Sa couleur mouillée ou sèche, son chatoiement, sa douceur sous la main, sa musique dans la vague, toutes ses caractéristiques captent ma curiosité, ma sensualité. De retour à la maison, je pose délicatement la pierre sur une page vierge. Alors au hasard de l’eau que je verse sur elle, de la saturation du pigment choisi, elle commence à peindre d’elle-même. Je nomme ce journal : pierre | prière.
Quand j’entre en contact avec elle, j’y vois la mystérieuse élaboration du monde. Sa beauté naturelle donne à mon travail une valeur plus ample que celle d’une expression purement personnelle : moment imperceptible où la pierre est encore pierre mais déjà autre, instant où elle devient poésie écrite par la mer à l’aide d’un vocabulaire atemporel.
Anne Blum
Livret: Anne Blum, PIERRE | PRIÈRE
Discours d’introduction de l’exposition intitulée
Poussière de mots | maux
Château de La Sarraz, du 31.5. au 28.6.2025
Flyer
Qu’est-ce que le hasard ?
L’intelligence artificielle désigne le hasard comme principe déclencheur d’événements fortuits, inattendus, imprévus… c’est donc ce hasard qui a décidé de ma rencontre avec mon maître de restauration, Erasmus Weddigen, au musée des beaux-arts de Berne. J’avais 23 ans… Sa disparition récente me touche particulièrement car il aurait voulu être parmi nous aujourd’hui… par bonheur la réminiscence de sa contribution à ma passion pour l’art se manifeste quand même ici par la présence de Hans-Christophe von Tavel et Wolfgang Kersten. Eux aussi m’ont professionnellement accompagnée pendant des années: le premier me choisissant pour succéder à Erasmus Weddigen et le deuxième me sollicitant pour participer à ses recherches scientifiques sur les techniques picturales de Paul Klee. J’ai osé cette analogie avec les mots choisis par Etienne et Fabien Krähenbühl car, par le décès d’Erasme, ils ont surgi abruptement dans ma vie actuelle : disparition/réminiscence
Suis-je artiste?
L’art est essentiel à ma vision du monde. Il exige passion, ténacité, pratique, capacité d’expérimenter et de se mettre en question. Il consiste à exprimer une idée, une émotion, une intuition à travers une technique. Jusqu’à la Renaissance il n’y avait pas de différence entre artisan et artiste. Pourtant la conception de l’artiste moderne s’est peu à peu établie et l’innovation technique, l’originalité et la réflexion ont finalement fusionné avec la maîtrise. En 1911 Kandinsky disait même que l’art était une nécessité intérieure. Pourquoi l’art est-il devenu le moteur du renouveau et de la compréhension entre individus ? Parce que la pratique artistique nourrit l’exploration, développe l’imagination. Elle éduque le regard, élargit l’horizon, pousse à appréhender la matière de manière variée et confronte aux diversités culturelles. Elle transforme la relation au monde, elle questionne, critique et réinvente notre concept de l’humanité. L’art défie, déclenche, obsède, c’est pourquoi je me demande chaque jour… suis-je artiste ?
Anne Blum, Château de La Sarraz, le 7 juin 2025